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La vie sans Elsevier

Ce n’est pas l’idéal, ni une fin en soi, mais faire de la recherche sans accès aux revues d’Elsevier, ou du moins sans accès à la collection complète, est envisageable dans une certaine mesure, c’est du moins ce que nous montrent ces 2 sujets en provenance de la Suède et de la Floride :

En Suède, les bibliothèques membres du consortium Bibsam ont suspendu leur contrat avec Elsevier entre juillet 2018 et fin 2019, en raison de l’incapacité de l’éditeur à proposer une offre acceptable mixant les coûts de consultation (les abonnements) et les coûts de publication (les APC). Dans un rapport très détaillé, elles analysent les conséquences de la décision de non-renouvellement sur les chercheurs (une enquête a été menée), sur leurs institutions et sur l’activité du consortium lui-même :

  • L’opinion des chercheurs est partagée sur l’impact de cette politique sur leur recherche. Un peu plus de la moitié (54%) des répondants disent qu’elle a une influence négative sur leur travail : la veille prend plus de temps, et elle est incomplète du fait du manque d’accès, en particulier dans les domaines disciplinaires bien couverts par le catalogue de l’éditeur (la santé essentiellement). L’autre moitié fait état d’un impact moindre, les revues de l’éditeur ayant pour ceux-ci moins d’importance dans leurs champs de recherche. Plus de 80% des chercheurs ayant répondu à l’enquête indiquent avoir eu besoin d’un article non accessible au cours de la période : pour ceux-ci, 42% ont laissé tomber, 42% ont trouvé leur bonheur sur Sci-hub ou Researchgate, le reste ayant recours à peu près à part égale à la BU, à l’auteur ou à un collègue. Les alternatives légales type PEB n’ont pas rencontré de succès : difficile de rivaliser en terme de rapidité, même avec un service performant. L’enseignement intéressant aussi, c’est l’effet négatif en terme d’image sur l’éditeur, qui conduit les chercheurs à modifier leurs activités de publication : près de la moitié des répondants disent désormais refuser de publier, de faire du peer-review ou de remplir des fonctions éditoriales chez Elsevier.
  • Pour les universités membres du consortium, le non-renouvellement a été l’occasion de faire de la pédagogie auprès de leurs instances de gouvernance et de leurs chercheurs, à la fois sur les raisons de ce non-renouvellement, et aussi sur les moyens d’accès alternatifs aux articles, que ce soit les extensions, le PEB ou un service de fourniture de document payant (les 2 systèmes coexistent). La mise en place et/ou le renforcement des usages de ces services s’est fait à un coût marginal, rapporté au coût annuel pour l’accès à la Freedom.
  • Au niveau du consortium, les négociations avec d’autres éditeurs se sont intensifiées autour des questions d’open access.

Au final, les négociations ont repris et abouti selon les conditions suivantes (pour une économie de 1,7M d’euros par an) :

  • Accès à la collection Freedom
  • Droit de publication illimité dans les revues de la Freedom et toutes les revues en open access + droit de publication en OA pour 100 articles dans les revues hybrides de Cell Press, le tout sous licence CC-BY (sauf avis différent de l’auteur)
  • Pas de frais d’accès aux archives en cas de sortie
  • Accord de 3 ans, avec une augmentation annuelle à 2,5%

Par ailleurs en Floride, l’université a annulé son contrat global (« big deal ») en mars 2019, pour faire passer sa facture de 2 à 1 million de dollars, et son portefeuille de 1800 à 150 titres. L’éditeur avait prédit aux bibliothécaires que ce choix allait leur coûter au moins autant en solutions de remplacement type pay-per-view. Mais en fait non : à la surprise générale, au bout de 8 mois de fonctionnement, seuls 20 000$ ont été dépensés sur ce poste ; l’histoire ne dit pas combien l’université continue de dépenser en APC…

[Photo by Frank Okay on Unsplash]

Contourner les embargos

1367763825_d6c71401fb_oJ’avais été intriguée l’an dernier à la lecture de l’article de Josh Bolick, bibliothécaire à l’université du Nebraska, Leveraging Elsevier’s Creative Commons License Requirement to Undermine Embargoes. Dans cet article, l’auteur ne faisait rien moins que démontrer une faille dans la politique de partage des contenus de l’éditeur, permettant de contourner les embargos sur le dépôt des postprints dans des archives ouvertes.

La démonstration étant un peu technique, mais la politique de l’éditeur n’ayant pas été modifiée malgré la publication de l’article, il m’a semblé intéressant de traduire le texte en français, ce que nous avons fait cet été avec Lionel Maurel, et ça donne : Tirer parti des exigences d’Elsevier sur les licences Creative Commons pour contourner les embargos.

Le pitch de l’article est le suivant : dans sa politique de partage, Elsevier fait un distingo entre archive ouverte et site web perso, le dépôt dans une archive ouverte étant soumis à un embargo (pouvant aller jusqu’à 48 mois, quand même : CarnetIST avait dès 2015 pointé les disparités disciplinaires dans leur analyse de la durée des embargos chez Elsevier), alors que la diffusion par les auteurs sur leur site web personnel peut se faire sans embargo, moyennant l’ajout d’une licence CC-BY-NC-ND. Si l’on pousse la logique jusqu’au bout, une fois que l’article est en ligne sur le site web perso avec cette licence, celui-ci devient rediffusable et donc déposable dans une archive ouverte, là aussi sans embargo.

Comme l’auteur le précise, ce dispositif n’est pas fait pour fonctionner à grande échelle, et nécessite un minimum de pédagogie de la part des bibliothécaires ; c’est d’ailleurs surtout un bon prétexte justement pour faire de la pédagogie auprès des chercheurs (sur les licences CC, sur la cession des droits, sur les conditions de diffusion des publications…). Il interroge aussi sur la notion de « site personnel », que l’éditeur oppose au site institutionnel qu’est l’archive ouverte de l’établissement : et si le site perso du chercheur est une page hébergée sur le site du labo ? Ou sa page CV sur HAL ? Il me semble que la frontière étant de plus en plus floue, ce type de clause devrait tôt ou tard disparaître de la politique de partage de l’éditeur.

Openwashing

Dans son dernier billet When is the library Open ?, Barbara Fister revient sur plusieurs  mouvements récents dans le paysage scientifique :

  • L’accord passé entre l’université de Floride et Elsevier pour automatiser l’alimentation (via l’API de l’éditeur) de leur archive ouverte locale : dit comme ça, ça a l’air d’être une bonne idée, et c’est vrai que c’est plutôt pas mal pour récupérer des métadonnées, mais en fait le texte intégral des articles ne sera accessible que pour les abonnés à la plateforme ScienceDirect  (en dehors des articles nativement en OA)… Pas vraiment de l’OA, donc, et clairement une tentative forte de l’éditeur pour se positionner comme « partenaire/prestataire » de la Recherche, en récupérant des données de consultation et du trafic sur son propre site web au passage…

Il est évident qu’externaliser la gestion d’une archive ouverte institutionnelle à Elsevier n’est pas une bonne idée. Ce qui l’est moins, c’est que les bibliothécaires doivent se bouger rapidement pour financer et/ou bâtir collectivement des alternatives sérieuses à cet « openwashing« . Ce nous prendra du temps et de l’argent. Ca nécessitera de prendre des risques. Ca implique de nous éduquer à des solutions tout en réfléchissant à comment mettre nos valeurs en pratique. Ca implique de faire des compromis sur l’accès immédiat avec quelques râleurs ayant pignon sur rue, pour mettre de l’argent et du temps dans des solutions à long terme, qui pourront mette un certain temps avant de fonctionner. Ca implique de considérer la fourniture équitable d’accès au savoir comme notre fonction première, et pas comme une option sur laquelle travailler quand nous n’avons rien de mieux à faire avec nos « vraies » missions de négociation de licences, de maintenance des résolveurs de liens et de formation des étudiants à l’utilisation d’interfaces qui seront obsolètes quand ils auront terminé leurs études. Ca implique d’agir dès maintenant pour pouvoir faire partie du futur de la communication scientifique.

  • L’achat, toujours par Elsevier, de la plateforme SSRN : après les sociétés savantes, et les outils de gestion bibliographique (Mendeley), les infrastructures de l’OA deviennent un enjeu majeur du développement des éditeurs – et on peut légitiment penser qu’Academia et ResearchGate sont les prochains sur la liste.

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Gare aux chiffres !

WTF? - Francis Mariani - CC BY-NC-SAJ’ai lu dernièrement ici et :
– « … Elsevier a parfaitement compris une chose : c’est que si l’existence de ses revues importe tant, malgré tout, aux communautés scientifiques, ce n’est pas tant qu’il est pour elles crucial de lire les articles qu’elles contiennent (on en trouve la plupart sans problème en open access sur la Toile). »
– « Actuellement, plus de 1 500 revues d’Elsevier sont au moins partiellement en « libre accès »… »
Et là je me dis : zut, j’ai raté un épisode ou quoi ?
Aux dernières nouvelles, les articles publiés dans les revues hybrides (ces revues sur abonnement dans lesquelles il est possible, moyennant finances, de publier des articles en accès ouvert), notamment chez Elsevier, se comptent sur les doigts de quelques mains : 1014 articles en 2011, selon cette étude de Björk et Solomon sur les revues hybrides.
« 2011, ça date, les choses ont changé » me direz-vous ?
OK. Voici les chiffres que nous donne Science Direct pour les 8 titres les plus consultés par les membres de Couperin en 2012 (+ de 100 000 téléchargements) :

  • The Lancet : 451 043 articles, 302 en OA (0.06%)
  • Archives de pédiatrie : 11 756, pas d’article en OA
  • La revue de médecine interne : 18 803, 3 articles en OA (0.015%)
  • Tetrahedron letters : 93 149, 61 articles en OA (0.06%)
  • Annales françaises d’anesthésie et de réanimation : 10 244, 2 articles en OA (0.01%)
  • Tetrahedron : 46975, 26 articles en OA (0.05%)

Imaginons que les choses aient encore changé en 2013, et qu’on arrive à 1% d’articles en OA : nous serions encore bien loin d’un large accès aux contenus d’Elsevier. Il me semble utile de le repréciser.

Pourquoi personne ne publie des articles en open access dans les revues d’Elsevier ?

cc licensed (BY-SA) flickr photo by °Florian

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C’est la question que s’est posée Mike Taylor sur le blog Sauropod vertebra picture of the week, en constatant que la revue PloS One publiait en un mois plus d’articles en OA qu’Elsevier dans ses 1500 revues hybrides en un an (959 articles OA en 2011, PLoS One tourne à environ 1300 articles mensuels en moyenne sur la même période). Voici les raisons qu’il envisage pour expliquer l’attitude des chercheurs :
– une position idéologique : les chercheurs qui s’intéressent à l’open access sont déjà convaincus, ils préfèrent publier dans des revues en open access, clairement identifiées comme telles et vraiment accessibles à tous. [J’ajouterai qu’à mon avis, ils préfèrent voir le modèle OA s’étendre au niveau des revues, plutôt que contribuer au modèle « hybride »]
– un intérêt juridique : chez PLoS, les articles sont publiés sous licence CC-BY : on peut, du moment que la paternité des auteurs est correctement attribuée, récupérer les contenus et les réutiliser de multiples façons, y compris la fouille de texte. Ce n’est pas le cas de l’open access proposé par la plupart des éditeurs commerciaux : impossible d’obtenir une définition précise des usages autorisés pour les articles en open access sur le site d’Elsevier, notamment. [Je confirme que l’information est difficile à trouver, pas cohérente ni très claire sur Science Direct en tout cas]
– un bénéfice technique : la grande qualité des prestations fournies par PLoS (images en haute définition, compléments vidéos, formats de sortie compatibles avec une réutilisation informatisée, statistiques au niveau de l’article, commentaires) ne se retrouve pas chez les éditeurs qui se contentent de transférer sur internet le circuit en usage pour les revues imprimées. [Je ne suis pas entièrement d’accord avec ça, je trouve que la plateforme Science Direct est loin d’être la pire en terme de fonctionnalités ; il y a eu un travail de développement d’applications que je n’ai pas vu ailleurs. Mais c’est vrai que chez les éditeurs « pure players » de l’électronique , on trouvera plus facilement en standard des fonctionnalités nativement numériques]
– un argument économique : les frais de publication chez PLoS sont moitié moins chers que ceux des revues d’Elsevier.
C’est en train d’évoluer (pas mal de progrès sur les pages consacrées à l’open acess sur le site corporate de la firme), mais jusqu’à présent il était assez difficile d’obtenir des informations claires et fiables sur les options OA proposées par Elsevier ; il sera très intéressant d’observer les effets des politiques publiques en faveur de l’open access sur les articles publiées dans les revues hybrides (chez Elsevier comme ailleurs).
Source : Why isn’t anyone publishing open-access articles in Elsevier journals?


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