Archive pour janvier 2012

Ipad et ressources documentaires

Je me suis intéressée dernièrement à l’offre documentaire pour les supports mobiles : smartphones et tablettes. Enfin, surtout tablettes (enfin,  surtout ipad !).  Ca a été l’occasion d’alimenter la page consacrée aux applications documentaires pour terminaux mobiles de Bibliopédia. Voici mes observations sur l’offre de contenus actuelle, envisagée dans un contexte de bibliothèque universitaire. Sachant que je me suis concentrée sur les ressources auxquelles mon établissement est abonné, donc surtout dans les disciplines juridiques, économiques et scientifiques, mais, ledit établissement s’étant étendu depuis le début de mon étude, je commence à avoir un bon panel de ressources pluridisciplinaires. Non que tous les éditeurs soient présents sur ce créneau, cependant : à la louche, je dirai qu’un peu moins de 30% du portefeuille de ressources payantes est disponible sur le web mobile (je vérifierai à l’occasion).

Appli et sites dédiés

Au niveau technique, on a affaire à 2 types de dispositifs :
– d’une part  des applications dédiées pour certains systèmes d’exploitation mobiles : Androïd et  iOS (pour les produits Apple). Les applications fonctionnent en « circuit fermé », puisque leur utilisation est subordonnée à un type d’appareil défini. On les trouve assez facilement en tapant le nom de la ressource sur l’Apple store ou le Marketplace (ou nom de la ressource + ‘application’ dans Google).
– d’autre part des sites web spécifiques, optimisés pour une consultation mobile. Leur intérêt principal est d’être consultable depuis n’importe quel appareil.

Les éditeurs juridiques : oui… mais non

Les éditeurs juridiques (français) qui sont présents se distinguent par le peu de contenus accessibles : Dalloz, Francis Lefebvre et Lamy ne proposent qu’un accès à leurs actualités, aucun lien n’existe vers du texte intégral. Legalnews semble s’être le plus investi sur les interfaces mobiles : l’éditeur propose ainsi une appli pour Androïd, une appli pour iOS et une appli pour Blackberry. Bien qu’il existe de nombreuses applis pour les produits Lexis-Nexis outre-Atlantique, le Juris-Classeur, édité par ce même groupe, n’est pas disponible. Du côté des éditeurs étrangers, Westlaw propose un site mobile pour sa déclinaison Westlaw Next (qui n’est pas celle à laquelle nous avons accès en France), ainsi qu’HeinOnline, toujours très dynamique sur tous les outils web, une appli iOS est également disponible.

Les limites du point de vue des BU
Le principal problème lié à l’accès mobile aux ressources documentaires, c’est la gestion d’accès personnalisés par des services habitués à gérer des accès collectifs : généralement en BU, pour ouvrir les accès, on déclare des listes d’adresses IP, un serveur proxy pour les accès distants, et basta. La gestion de l’authentification des usagers est déportée sur les DSI, qui administrent l’annuaire LDAP, le serveur CAS, etc. Pour accéder à une ressource à distance, on s’authentifie sur un serveur proxy spécifique à son université. Avec une appli, l’accès se fait en direct : du coup, comment faire savoir à l’éditeur que oui, on est bien un utilisateur autorisé de l’université de X… ?
Parmi les applications que j’ai testées, on retrouve 3 grands types de solutions  adoptées par les fournisseurs :
– accès uniquement depuis une IP déclarée de l’établissement. Nécessite quand même l’activation du mode « mobile » depuis un poste fixe du réseau. Donc pas d’accès réellement nomade. Ex : Factiva.
– accès distant activé depuis depuis une adresse IP déclarée – assez pratique : pas de gestion d’identifiants par la BU, tout peut se faire à distance par l’utilisateur en se connectant au site de la BU par le proxy. Inconvénient : l’utilisateur doit réactiver son accès depuis un poste du réseau au bout d’un certain temps. Ex : EbscoHost (9 mois), HeinOnline (30 jours).
– accès aux contenus libres (les actualités), mais demande des identifiants d’administration du compte pour l’accès au texte intégral (Dalloz), donc au final pas d’accès.
Pour les sites mobiles, c’est un peu différent : il est possible de les proxifier, ie de les inclure dans la configuration d’un serveur proxy. Reste à faire en sorte que les usagers se connectent via ce serveur.
Autres problématiques : communication, évaluation, formation
Du coup se pose la question de la communication pour ce type de service : simple ajout d’une entrée « nomade » dans la liste des ressources électroniques, à côté des accès traditionnels, ou bien mise en place d’une page dédiée pour les accès nomades ? Et comment faire apparaître tout ça dans les outils de découverte ?
Autre interrogation : comment mesurer ces usages ? Une solution pourrait passer par une généralisation de l’usage de Shibboleth : inclure ce type d’authentification sur une appli ou un site mobile pourrait permettre de faire le lien entre les usagers et les institutions qui fournissent les accès. Je pense (j’espère !) également que les éditeurs ont les moyens techniques de nous fournir des stats de consultation de leurs ressources depuis des appareils mobiles au sein de nos propres réseaux, ce sera aussi un indicateur important à prendre en compte dans l’évaluation des usages.
Enfin, mais cela va sans dire, le suivi des sites et des applications doit entrer dans le travail de veille du bibliothécaire, qui, idéalement, doit être formé à ces outils ; encore faut-il que celui-ci soit équipé ou ait accès aux outils en question – je n’ai cependant pas l’impression que les tablettes « de service » soient légion dans la plupart des BU pour l’instant. Elles restent, pour ce que j’ai pu constater, vues comme un gadget plus qu’autre chose. Il faudrait que ça change.
[photo : zandwatch]

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Remarqués en janvier

Juste pour signaler ces 2 billets, dans des genres et sur des sujets différents, dont j’ai bien aimé le style, le ton, l’humour…
Hortensius : Non, Yann Moix, la bibliothèque ne peut plus être un temple

La bibliothèque, pour Yann Moix, est un moyen de partage de la culture (au sens noble, limité à la collection des Pléiades : au moins ya pas à se compliquer, encore moins à demander conseil à un bibliothécaire : tous les pléiades sont bons à lire, et il faut lire tous les pléiades — et ces malheureux qui parlent de politique documentaire…)

Notoriousbib : Le management du beau gosse en bibliothèque

Dans les bibliothèques c’est strictement pareil. Pourquoi il n’y a jamais un péquin à la bibliothèque le mardi de 16h à 18h ? Tout bonnement parce que c’est la plage assurée par Marie-Claude et, outre que Marie-Claude a dépassé le quintal, elle a même pas la politesse d’être une grosse joviale : elle tire tout le temps une tête de six pieds de long, comme si elle venait de se faire jeter par le Père Dodu ou qu’elle avait appris que Bigard, pas l’humoriste mais le boucher, venait de décéder. Comment veux-tu que dans ces conditions les ados ou les actifs, qui ont déjà une journée de travail dans les pattes, prennent plaisir à se rendre à la bibliothèque ?

[photo : mmorgan8186]

RWA : une nouvelle menace pour l’Open Access

Les éditeurs scientifiques et l’Open Access, ça n’a jamais été le grand amour. Et ce n’est pas près de s’arranger : le 16 décembre dernier, 2 députés américains ont déposé devant la Chambre des Représentants un projet de loi signifiant rien de moins que la fin des politiques publiques visant à garantir à tous l’accès aux résultats de la recherche financée sur fonds publics.
Le Research Works Act (HR3699), c’est son nom, établit notamment la règle suivante :

Aucune agence fédérale ne peut adopter, instaurer, maintenir, continuer ou s’engager de quelque manière que ce soit dans une politique, un programme ou toute autre activité qui :
(1) cause, permet ou autorise la dissémination sur le réseau de tout travail de recherche issu du secteur privé sans le consentement préalable de l’éditeur de ce travail ;
(2) exige que tout auteur actuel ou potentiel, ou l’employeur d’un tel auteur actuel ou potentiel, donne son assentiment pour la dissémination sur le réseau d’un travail de recherche issu du secteur privé.

Ce qu’on entend par « travail de recherche issu du secteur privé » est défini dans le projet comme :

… un article destiné à être publié dans une publication scientifique ou universitaire, ou quelque version que ce soit de cet article, qui ne soit pas un travail du gouvernement des Etats-Unis (tel que défini dans la section 101 du titre 17 du code des Etats-Unis), et qui décrive ou interprète un travail de recherche financé entièrement ou partiellement par une agence fédérale, et auquel un éditeur commercial ou à but non lucratif s’est engagé à apporter par sa contribution une valeur ajoutée, y compris la validation par les pairs ou la mise en forme. Cette expression ne concerne pas les rapports d’étape ni les données brutes régulièrement soumis directement à l’organisme financeur au cours de la recherche.

On rappellera juste que le travail de validation par les pairs, censé être la valeur ajoutée apportée par les éditeurs aux articles est assumé *gratuitement* par des chercheurs, payés eux aussi sur fonds publics…

C’est clairement la fin des mandats institutionnels qui est visée ici, à commencer par celle des National Institutes of health (NIH), qui conditionnent leur financement à l’obligation de dépôt des articles issus de la recherche sur PubMedCentral dans les 12 mois suivant la publication. Plus largement, ce sont toutes les politiques en faveur du libre accès qui se verraient ainsi remises en cause, si une loi de ce genre était votée.
On peut l’imaginer, l’American Association of Publishers (AAP), qui compte parmi ses membres éminents la plupart des éditeurs scientifiques internationaux, se frotte les mains et appuie bien évidemment l’initiative :

Les éditeurs américains mettent plus d’information de recherche à la disposition de plus de gens, via plus de canaux de diffusion que jamais dans l’histoire. Dans une période où la sauvegarde des emplois, les exportations, l’excellence académique, l’intégrité scientifique et la protection des droits d’auteur numériques sont toutes des priorités, le Research Work Act garantit la viabilité de cette industrie.

Et ce n’est que pure coïncidence si le projet de loi est défendu notamment par Carolyn Maloney, députée démocrate de l’état de New-York – un état qui abrite pourtant de nombreuses universités et structures de recherche publique –, qui a été destinataire pour sa campagne de plus du tiers des dons attribués par Reed-Elsevier (certains ont également relevé la surprenante similitude entre la réponse de la députée aux critiques formulées à son encontre et certaines interventions du responsable des relations publiques d’Elsevier).
La position de l’AAP ne fait cependant pas l’unanimité : certains éditeurs ont exprimé leur désaccord avec l’appui apporté par l’association à cette législation. Parmis ceux-ci,  on trouve des presses universitaires (MIT Press , University of California Press…), mais aussi Ithaka (l’organisme qui est derrière JSTOR et Portico), Nature Publishing ou encore Cambridge University Press.
Des bibliothécaires américains se mobilisent : certains demandent aux éditeurs de se positionner contre le projet de loi, voire de quitter l’AAP, une autre a commencé à lister tous les membres des comités éditoriaux des revues en sciences de l’information éditées par Elsevier, et leur enjoint de démissionner de leur poste dans ces comités. On peut effectivement se demander si, du point de vue du chercheur, oeuvrer pour la diffusion la plus large possible des connaissances est réellement compatible avec une collaboration de quelque nature que ce soit avec des revues dont l’accès n’est pas libre ? (Je parle d’un point de vue purement éthique, hein, je sais que la réalité est autre, qu’il y a la pression du « publish or perish – et plutôt dans des revues à fort facteur d’impact » qui conditionne l’avancement de la carrière du chercheur, que « publier dans des revues en open access, c’est risqué » (quel risque ? à part celui d’être lu, je ne vois pas), etc.)
Bref, il me semble juste qu’il serait bon de ne pas oublier que « Sans la recherche, il n’y aurait rien à publier. » (dixit Paul Courant, dans un billet de 2008 à propos du Fair copyright in research works act, une tentative précédente de limitation de l’accès aux résultats de recherche).

Pour suivre les évolutions de ce projet, quelques liens :
– le billet de John Dupuis sur Confessions of a science librarian : Around the Web: Some posts on The Research Works Act (Now chronological!)
– le blog Open and shut ?
– les infos diffusées par Peter Suber sur son compte Google+
– le billet de Peter Murray-Rust The Scholarly Poor could lose access to scientific research; this is serious
la catégorie Scholarly communication sur Gavia Libraria
[photos : oneshotonepic]


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