


Je me suis intéressée dernièrement à l’offre documentaire pour les supports mobiles : smartphones et tablettes. Enfin, surtout tablettes (enfin, surtout ipad !). Ca a été l’occasion d’alimenter la page consacrée aux applications documentaires pour terminaux mobiles de Bibliopédia. Voici mes observations sur l’offre de contenus actuelle, envisagée dans un contexte de bibliothèque universitaire. Sachant que je me suis concentrée sur les ressources auxquelles mon établissement est abonné, donc surtout dans les disciplines juridiques, économiques et scientifiques, mais, ledit établissement s’étant étendu depuis le début de mon étude, je commence à avoir un bon panel de ressources pluridisciplinaires. Non que tous les éditeurs soient présents sur ce créneau, cependant : à la louche, je dirai qu’un peu moins de 30% du portefeuille de ressources payantes est disponible sur le web mobile (je vérifierai à l’occasion).
Appli et sites dédiés
Au niveau technique, on a affaire à 2 types de dispositifs :
– d’une part des applications dédiées pour certains systèmes d’exploitation mobiles : Androïd et iOS (pour les produits Apple). Les applications fonctionnent en « circuit fermé », puisque leur utilisation est subordonnée à un type d’appareil défini. On les trouve assez facilement en tapant le nom de la ressource sur l’Apple store ou le Marketplace (ou nom de la ressource + ‘application’ dans Google).
– d’autre part des sites web spécifiques, optimisés pour une consultation mobile. Leur intérêt principal est d’être consultable depuis n’importe quel appareil.
Les éditeurs juridiques : oui… mais non
Les éditeurs juridiques (français) qui sont présents se distinguent par le peu de contenus accessibles : Dalloz, Francis Lefebvre et Lamy ne proposent qu’un accès à leurs actualités, aucun lien n’existe vers du texte intégral. Legalnews semble s’être le plus investi sur les interfaces mobiles : l’éditeur propose ainsi une appli pour Androïd, une appli pour iOS et une appli pour Blackberry. Bien qu’il existe de nombreuses applis pour les produits Lexis-Nexis outre-Atlantique, le Juris-Classeur, édité par ce même groupe, n’est pas disponible. Du côté des éditeurs étrangers, Westlaw propose un site mobile pour sa déclinaison Westlaw Next (qui n’est pas celle à laquelle nous avons accès en France), ainsi qu’HeinOnline, toujours très dynamique sur tous les outils web, une appli iOS est également disponible.
Les limites du point de vue des BU
Le principal problème lié à l’accès mobile aux ressources documentaires, c’est la gestion d’accès personnalisés par des services habitués à gérer des accès collectifs : généralement en BU, pour ouvrir les accès, on déclare des listes d’adresses IP, un serveur proxy pour les accès distants, et basta. La gestion de l’authentification des usagers est déportée sur les DSI, qui administrent l’annuaire LDAP, le serveur CAS, etc. Pour accéder à une ressource à distance, on s’authentifie sur un serveur proxy spécifique à son université. Avec une appli, l’accès se fait en direct : du coup, comment faire savoir à l’éditeur que oui, on est bien un utilisateur autorisé de l’université de X… ?
Parmi les applications que j’ai testées, on retrouve 3 grands types de solutions adoptées par les fournisseurs :
– accès uniquement depuis une IP déclarée de l’établissement. Nécessite quand même l’activation du mode « mobile » depuis un poste fixe du réseau. Donc pas d’accès réellement nomade. Ex : Factiva.
– accès distant activé depuis depuis une adresse IP déclarée – assez pratique : pas de gestion d’identifiants par la BU, tout peut se faire à distance par l’utilisateur en se connectant au site de la BU par le proxy. Inconvénient : l’utilisateur doit réactiver son accès depuis un poste du réseau au bout d’un certain temps. Ex : EbscoHost (9 mois), HeinOnline (30 jours).
– accès aux contenus libres (les actualités), mais demande des identifiants d’administration du compte pour l’accès au texte intégral (Dalloz), donc au final pas d’accès.
Pour les sites mobiles, c’est un peu différent : il est possible de les proxifier, ie de les inclure dans la configuration d’un serveur proxy. Reste à faire en sorte que les usagers se connectent via ce serveur.
Autres problématiques : communication, évaluation, formation
Du coup se pose la question de la communication pour ce type de service : simple ajout d’une entrée « nomade » dans la liste des ressources électroniques, à côté des accès traditionnels, ou bien mise en place d’une page dédiée pour les accès nomades ? Et comment faire apparaître tout ça dans les outils de découverte ?
Autre interrogation : comment mesurer ces usages ? Une solution pourrait passer par une généralisation de l’usage de Shibboleth : inclure ce type d’authentification sur une appli ou un site mobile pourrait permettre de faire le lien entre les usagers et les institutions qui fournissent les accès. Je pense (j’espère !) également que les éditeurs ont les moyens techniques de nous fournir des stats de consultation de leurs ressources depuis des appareils mobiles au sein de nos propres réseaux, ce sera aussi un indicateur important à prendre en compte dans l’évaluation des usages.
Enfin, mais cela va sans dire, le suivi des sites et des applications doit entrer dans le travail de veille du bibliothécaire, qui, idéalement, doit être formé à ces outils ; encore faut-il que celui-ci soit équipé ou ait accès aux outils en question – je n’ai cependant pas l’impression que les tablettes « de service » soient légion dans la plupart des BU pour l’instant. Elles restent, pour ce que j’ai pu constater, vues comme un gadget plus qu’autre chose. Il faudrait que ça change.
[photo : zandwatch]
« Je n’ai pas l’intention de me débarrasser de mon micro-portable. Je ne recommanderai à aucun de mes collègues techniciens de laisser tomber leur PC. Mais, pour la majorité de mes amis et de mes relations, j’affirme sans réserve qu’un iPad est tout ce dont ils sont besoin. »
C’est la conclusion à laquelle arrive Tony Bradley, de PCWorld, à la suite de son expérience 30 jours avec un iPad. Il s’agissait pour lui de voir s’il pouvait utiliser professionnellement, au quotidien, un iPad en remplacement de son micro-portable. Pour l’utilisateur lambda, qui n’a ni les compétences ni l’envie d’utiliser un PC correctement, c’est très suffisant, mais professionnellement, pas question.
C’est une démarche similaire qui a été menée il y a quelques mois par 2 bibliothécaires du Texas, relatée dans iPotential: Mobile electronic resource management on an iPad (accès payant sur ScienceDirect), qui ont voulu voir s’il était possible d’effectuer leur travail de gestion des ressources électroniques avec un iPad. Ils ont testé les versions mobiles de tous les outils qu’ils utilisent, de la messagerie au traitement de textes, en passant par le SIGB, l’ERM et le résolveur de liens. Ils pointent plusieurs difficultés pour un usage au quotidien, particulièrement :
– l’impossibilité de gérer des dossiers et une arborescence
– le manque d’un port USB pour charger des documents, la difficulté pour les manipuler
Leur conclusion est quand même plus nuancée que celle du journaliste de PCWorld :
« La réponse aux questions posées par les auteurs en début d’article (Est-il possible de travailler à distance, et, plus spécifiquement, de gérer des ressources électroniques avec un iPad ?), si on se base sur l’expérience des auteurs, est peu satisfaisante : ça dépend. Si l’iPad est pratique pour de courtes périodes de temps, comme pour un déplacement à une conférence, il n’est en aucun cas prêt à être utilisé au quotidien. En fait c’est la nature des tâches à accomplir qui va déterminer la pertinence de l’usage de l’iPad. Par exemple, si la majeure partie des tâches comprend l’usage d’interfaces web […], alors peut-être un iPad peut-il répondre au besoin, si on est prêt à passer sur quelques problèmes mineurs occasionnels. Mais si il est aussi nécessaire de travailler directement sur un serveur, comme un serveur proxy ou un SIGB, alors un iPad sera beaucoup moins utile. » Ils entrevoient néanmoins des possibilités d’amélioration, avec le développement probable d’applications mobiles dédiées par les fournisseurs de logiciels professionnels, qui permettront sans doute un usage plus fluide.
Les 2 articles se focalisent sur l’iPad, mais je me demande si on obtient des résultats similaires avec d’autres tablettes, comme les Transformer d’Asus qui semblent si prometteuses ?
[photo : Brett Jordan]