Journée d’étude Couperin e-books 2012 – Intro et retours d’expérience

Le consortium Couperin a organisé sa journée sur les e-books cette année sur le thème de « L’intégration du livre électronique dans l’écosystème de l’établissement« . J’ai été invitée, avec mon compère Gaël Revelin, à faire un compte-rendu de cette journée.
Keynote : Hervé Le Crosnier
Chez Couperin, on ne se refuse rien 😉 : c’est Hervé Le Crosnier himself (ses cours, sa maison d’édition) qui était invité en tant que grand témoin pour introduire et conclure la journée.
La question fondamentale, qui est revenue à plusieurs reprises au cours de la journée, est celle de la nature du livre numérique, de sa définition : « qu’est-ce qu’un livre numérique ? ».
HLC a évoqué plusieurs des problématiques liées au livre numérique :
– Transformation du média précédent (le livre numérique n’est pas forcément en concurrence avec ce qui va rester du livre papier)
– Secteurs privilégiés (domaine public, manuels, livres expérimentaux (publie.net, « l’homme volcan » de M. Malzieu), livres auto-édités)
– Manque de normalisation (parallèle avec la « guerre des navigateurs », maintenant c’est la « guerre des liseuses ») alors que l’interopérabilité est et sera de plus en plus une nécessité
– Modèles économiques : avant de s’intéresser aux utilisateurs, on se préoccupe des modèles économiques et on légifère (PULN) – alors qu’on n’en sait pas assez sur le livre numérique pour pouvoir fixer des règles intangibles, les modèles actuels sont forcément transitoires.
– Question du prêt des livres numériques : Amazon dit oui, et se prétend ainsi bibliothèque. Or la bibliothèque c’est aussi la garantie de la pérennité des collections, le libre choix des modes de consultation des contenus, l’assurance de l’anonymisation des usages. La chronodégradabilité mise en oeuvre via les DRMs renvoie à la perte de confiance du système de diffusion des savoirs vis à vis du lecteur (lecteurs = voleurs de la culture)
In fine, HLC préconise de garder à l’esprit les fondamentaux du métier de bibliothécaire : la constitution de collections, avec la liberté de choisir en fonction de son public, et la diffusion des savoirs pour former des citoyens éclairés. Il est avéré que la gratuité favorise l’émancipation ; reste à inventer un nouveau modèle prenant en compte le partage. On a des fondamentaux et de l’imagination : ne nous bridons pas.

Retour d’expériences : Université du Havre, Pierre-Yves Cachard
Cette petite université pluridisciplinaire (7000 étudiants) mène depuis 2009 une politique de développement des ressources numériques 24/24. Les objectifs sont multiples : renouveler l’offre de services du SCD, renforcer la politique d’exemplaires, constituer une bibliothèque numérique de niveau Master. Un financement de 10 000 euros (sur 3 ans) a permis d’impulser le projet ;  l’offre se compose aujourd’hui de 1000 livres numériques. La direction a fait le choix de l’intégration en terme de modèle économique,  de ressources humaines et de signalement : l’achat titre à titre permet d’insérer les livres numériques dans la politique documentaire (l’acquéreur qui choisit d’acheter le livre sous forme papier ou électronique), ceux-ci sont traités par les personnels référents dans les disciplines, et pas par des personnels dédiés ; tous les titres sont signalés dans le catalogue (pas de lien vers la plateforme éditeur ou agrégateur). Des priorités d’acquisition ont été définies : pas d’achat si le livre numérique est une édition antérieure à celle disponible au format papier, et soutien des disciplines faiblement représentées. 2 plateformes ont été retenues : Numilog et Dawsonera.
L’augmentation du budget de livres numériques (8% du budget documentaire global en 2010) se fera au détriment du budget papier. Ce qui va avoir pour conséquence, à terme, une baisse des prêts, et une baisse du travail pour les agents (moins d’équipement, moins de classement), d’où la nécessité de repenser les missions. Ceci dit, il semble qu’il y ait quand même une certaine marge avant d’en arriver là : en effet, les usages ne sont pas encore vraiment au rendez-vous, et les consultations restent faibles par rapport à l’investissement budgétaire (et c’est rien de le dire).
Plusieurs freins au développement du service sont constatés : le prix d’achat (il est scandaleux que le prix du livre numérique soit plus cher que celui du livre papier), le taux d’équipement des étudiants (tablettes en France = 4% ; mais à relativiser avec les smartphones, très présents, sur lesquels on lit aussi), la forme électronique (on se contente de reproduire le format papier, alors qu’on pourrait développer des contenus enrichis, qui seraient bien plus attractifs), les modèles hétérogènes (les droits de prêt diffèrent selon les plateformes), la nécessité d’opérer un choix sur le format (ce n’est pas à la bibliothèque ni à l’éditeur de choisir le format de lecture, le lecteur doit pouvoir lire les documents sur le contenant de son choix), la masse critique difficile à atteindre pour les livres en français (le livre numérique représente 10% de la production française, soit environ 80 000 ouvrages), l’embargo sur les éditions récentes, l’ergonomie d’usage (contraintes techniques de Numilog, par exemple).
Pour y remédier, le SCD a élaboré un plan d’action pour les personnels : prêt de tablettes, formation de tous les agents, diffusion d’une lettre d’information spécifique. Des actions sont également prévues en direction du public  : des ateliers de formation, la mise en avant des collections numériques sur le site web des bibliothèques, l’ouverture des catalogues pour susciter le déclenchement de l’achat par les lecteurs (Patron-Driven Acquisitions, PDA), l’intégration dans les plateformes pédagogiques, la programmation d’un cycle de conférences sur les initiatives menées autour des interfaces de livres électroniques, l’acquisition d’un outil de découverte pour améliorer les possibilités de recherche, la mise en place d’un « salon de lecture numérique » orienté sur les thèmes d’actualité.

Retour d’expériences : Sciences Po Paris, Stéphanie Gasnot
Plusieurs problématiques : une offre faible et une demande forte, des contraintes d’achat en tant que Cadist (question de la conservation). Démarrage en 2008 avec une offre de 77 titres sur une plateforme anglophone. Diversification de l’offre en 2010-2011 (ajout de livres en français). 2012 : 3000 livres électroniques. La visibilité de l’offre a été améliorée par le signalement dans le sudoc (exemplarisation automatique) dans un premier temps, mais la volonté de cataloguer les ebooks dans le sudoc a été revue à la baisse (problème de la mise à jour des données), et les livres électroniques sont désormais catalogués uniquement en local.
Modèles économiques : la bibliothèque a fait le choix d’un mix entre bouquets et achat titre à titre : EBL (possibilité de faire des suggestions d’achat), Palgrave connect et Oxford schlarship online (no DRM), Taylor & Francis (développement du titre à titre mais DRM) ;  Cairn et L’Harmathèque pour les livres francophones. Les livres électroniques bénéficient d’un budget dédié, en augmentation (53000 euros en 2012). La bibliothèque a fait le choix de rationaliser les acquisitions papier et électronique : les Que sais-je ? et les Repères ne sont plus achetés en version imprimée. En terme d’usages, c’est la plateforme Cairn qui arrive en tête, particulièrement pour les ouvrages de recherche (dont un grand nombre est édité aux Presses de Sciences Po, ce qui en fait du contenu particulièrement adapté au public visé).
Plusieurs questions restent ouvertes pour la bibliothèque :
– La problématique spécifique aux achats dans le cadre du CADIST n’est pas réglée : les livres électroniques, dans les conditions de vente actuelles, ne correspondent pas aux critères de diffusion et de pérennité exigés ; peut-être que les licences nationales et ISTEX seront un moyen d’y remédier.
– Le développement du modèle d’achat « pick & choose » permet plus de marge de manœuvre dans la gestion de la politique documentaire, mais multiplie les points d’accès, ce qui complexifie la navigation en l’absence d’un moteur de recherche fédérée.
– Les possibilités offertes par le PDA interrogent la politique documentaire : que reste-t-il du rôle du bibliothécaire et de la notion de collections ?

HLC : 3 remarques :
– La question de l’ergonomie paraît centrale. Il n’y a pas de raison que ce ne soit pas aussi simple avec l’électronique qu’avec le papier. Plateforme = web et pas livre. Il faut prendre en compte les besoins ergonomiques du lecteur.
– Les bibliothèques sont les principaux acheteurs du livre numérique, et elles en font l’acculturation auprès de leurs publics = ce n’est absolument pas pris en compte par les éditeurs, qui ne devraient pas pratiquer des tarifs aussi élevés pour les bibliothèques.
– Les plateformes font écran par rapport au livre, d’où l’intérêt du signalement au catalogue.
[Photos : CamilleStromboni, Knowtex]

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