Dans son billet Does mega-authorship matters ? , Stephen Heard s’intéresse au phénomène du « méga-autorat » (je n’ai pas trouvé mieux pour traduire « authorship ») qui touche une frange croissante de la production scientifique mondiale.
Il commence par souligner que la question n’est pas nouvelle, puisque depuis les années 2000, 90% des articles ont des auteurs multiples, et que le nombre des articles à plus de 50 auteurs augmente régulièrement depuis la fin des années 90. Il n’est ainsi pas rare de voir passer des articles avec plusieurs centaines de co-auteurs, dont la liste est plus longue que l’article lui-même.
Dans certaines disciplines, c’est même une politique assumée d’associer comme auteur tous les intervenants d’un projet (les chercheurs, les ingénieurs, les techniciens, etc). La physique fonctionne sur ce modèle : les équipes CMS et ATLAS, qui collaborent sur l’accélérateur de particules du CERN (le Large Hadron Collider, LHC) ont ainsi produit en mai 2015 un article attribué à pas moins de 5184 auteurs…
Qu’est-ce qu’un auteur scientifique ?
Cette politique « d’autorat collaboratif » remet en cause la notion « d’autorité » telle qu’elle est conçue jusqu’ici. S. Heard rappelle que l’International Commitee of Medical Journals Editors (ICMJE, 2014) définit la qualité d’auteur pour le domaine médical selon les 4 critères suivants :
Les problèmes que ça pourrait poser
Trop d’auteurs tue l’auteur : la responsabilité scientifique est diluée, l’intégrité des résultats est questionnée, la traçabilité de la démarche est complexifiée… Et quid de la promotion, de la carrière individuelle du chercheur dans tout ça ?
Pour Stephen Heard, il n’y a pas vraiment de risque scientifique dans la mesure où la démarche est connue et assumée par tout un champ disciplinaire : si erreur il y a, elle retombera sur tous les auteurs… Et pour la carrière, les physiciens ont trouvé une autre solution : ils ont choisi l’ordre alphabétique. D’autres biais sont réels et plus questionnables : par exemple le positionnement systématique comme auteur du directeur de laboratoire sur toutes les publications produites par le labo, dans certaines disciplines.
[Petite parenthèse : l’ordre des auteurs dans la signature de l’article, c’est important pour la bibliographie du chercheur, mais aussi pour l’attribution de financements]
J’ajoute un autre problème potentiel : le signalement des articles dans les archives ouvertes – vous imaginez le temps pour saisir toutes les affiliations de tous les auteurs pour déposer l’article dans HAL ? 😉
Open Contributorship Badges, une piste pour y voir plus clair
Le billet n’en parle pas, mais des initiatives émergent pour l’attribution plus détaillée du rôle de chacun dans la production de l’article : un projet conjoint d’Harvard et du Wellcome Trust a créé une taxonomie pour identifier le niveau de contribution des auteurs, elle se décline sous forme de badges apparaissant à la fin ou à côté de l’article. Vous pouvez en voir un exemple sur une revue de BioMedCentral ou sur une revue de Ubiquity Press.
Bonjour Marlène,
Billet extrêmement intéressant. J’y vois quelques liens avec l’idée d’une « Wikification de la science » que j’avais essayée de développer l’été dernier : http://scinfolex.com/2015/08/12/la-wikification-de-la-science-comme-nouvel-horizon-pour-lopen-access/
Cela avait suscité quelques réactions un peu épidermiques de chercheurs à l’époque, mais on constate d’après les chiffres que tu cites que les pratiques de publication évoluent rapidement.
Je trouve particulièrement intéressant le système de badges que tu signales à la fin du billet, qui permettent d’identifier et d’attribuer des « contributions à la science » et pas seulement la qualité « d’auteur » d’un texte.
On aura compris qu’il s’agit de la physique des particules, où les projets gigantesques rassemblent des milliers de chercheurs et non à la physique en général. J’imagine que dans ce cas, la carrière des chercheurs ne s’évalue pas au moyen de bibliométrie aveugle, mais en considérant de façon spécifique la contribution de chacun dans des articles plus pointus avec de petites équipes.
J’adore ce terme de mega-autorat…