Cela fait plusieurs semaines que des rumeurs circulent dans la communauté, et l’info officielle est finalement sortie : Liblime, l’une des sociétés contributrices historiques du SIGB libre Koha, ouvre sa propre branche de développement du logiciel (on appelle ça un fork) pour une version hébergée « Liblime Enterprise Koha ». Concrètement, cela signifie que les développements faits sur cette branche ne seront pas reversés (en tout cas pas au même rythme) dans le Koha « général », et que donc la communauté ne pourra pas en bénéficier. Cela peut ne pas être un problème (il y a eu d’autres cas de ce type, notamment dans les distributions Linux), tant que l’on reste dans la philosophie du libre : liberté de diffusion et de modification du code. Là ce que Liblime propose, c’est une version de Koha réservée à ses clients, qui les lie, de fait, à cette seule société : les développements resteront publics, mais ils seront livrés au rythme choisi par Liblime en accord avec leurs clients.
Rien d’illégal là-dedans cependant : une société a tout à fait le droit de vendre du service autour de logiciels libres, simplement le fait de sortir des améliorations du logiciel souvent et en les annonçant à l’avance permet d’une part au reste de la communauté de s’organiser (et de ne pas doublonner les développements par exemple), et d’autre part garantit une meilleure compatibilité entre les systèmes (intégrer du code tous les 6 mois sur un produit qui évolue tous les jours, ça ne sert pas à grandchose).
De nombreux billets ont commenté sur le sujet, allez voir pour vous faire une idée (sans manquer les commentaires, souvent très riches) :
Liblime to the Koha community : fork you ! par Roy Tennant
Liblime forks Koha chez Library matters
Where goes Koha ? chez Librarian 1.5
Koha manoeuvres chez parser librarian
A open letter to the Koha community par Marshal Breeding
Les explications du responsable de Liblime, et toute la discussion (thread) qui s’ensuit.
On attend de voir la position des clients de Liblime dans cette affaire : pour l’instant peu d’entre elles ont réagi à cette annonce. Néanmoins on peut s’interroger sur la nature de la relation des bibliothèques au logiciel libre : alors qu’extérieurement cela devrait évoluer en une relation de partenariat (les bibliothèques apportant leur contribution au moins financière au projet), on a l’impression que cela reste une relation client-fournisseur traditionnelle (peu de bibliothécaires s’investissent par exemple dans les débats actuels sur la création d’une fondation pour gérer Koha). Ce manque d’engagement des bibliothécaires dans la communauté fait que, du coup, tout cela reste « un truc de développeurs ». Il y a certainement une question de compétences techniques (rares sont encore les bibliothécaires-développeurs), de formation (je ne suis pas certaine que la majorité des bibliothécaires soit au clair avec la notion d’open source), mais aussi sans doute un problème de volonté politique : pourquoi le développement mutualisé d’outils-métier libres pour les bibliothèques ne suscite pas autant d’engouement auprès des services TICE ou des DSI des universités que les ENT ou les plateformes pédagogiques ?
[photo : scribbletaylor]
Votre propos concernant le positionnement des bibliothèques vis-à-vis du libre (« …on a l’impression que cela reste une relation client-fournisseur ») mérite, à mon sens, d’être complété, sinon corrigé.
J’observe pour ma part qu’il existe aujourd’hui, dans leur « rapport » au libre et à koha en particulier, 2 catégories de bibliothèques. Celles qui ont une âme de « pionnière » (j’emprunte à cet égard la catégorisation « Poulainienne »), promeuvent Koha, financent des développements, favorisent la coopération internationale,… et celles (« colons » ou simplement « migrantes ») qui prennent plus modestement le train en marche, rassurées par ces quelques early adopters qui ont bien voulu essuyer les plâtres de l’application et démontrer que cela pouvait concrètement marcher, dans la vraie vie d’une bibliothèque réelle.
On pourrait évidemment souhaiter de tous ces nouveaux arrivants qu’ils partagent la même fibre libriste que leurs prédécesseurs et qu’ils participent activement au développement de l’esprit et de l’action communautaires (au sein de Kohala par exemple ou d’une fondation à venir…) mais on peut voir les choses autrement ; en tant que « simples » utilisateurs, ils contribuent déjà à une importante dynamique de banalisation de l’open source (autant d’équipements ayant fait le choix de Koha, autant d’impact sur les consciences professionnelles et institutionnelles) en même temps qu’ils se positionnent tout naturellement comme de futurs collaborateurs (a minima, en déclarant des bugs et a maxima, en prescrivant ou en finançant de nouveaux développements fonctionnels) et peut-être, à plus long terme, comme de véritables contributeurs ; soyons confiants, un certain nombre de collègues (de SCD en particulier) férus d’informatique documentaire, ne s’en laisseront pas compter quand ils rejoindront la communauté des développeurs…
Bref, sans faire preuve d’un optimisme béat, et malgré l’évolution hasardeuse et peu glorieuse de Liblime, le développement de la communauté Koha me semble au contraire plutôt prometteur, ne serait-ce que parce qu’il mobilise (fut-ce dans la douleur ;)), la réflexion et les énergies professionnelles.
A l’heure de l’aquoibonisme, cela mérite d’être salué !
Juste une petite précision, qui a son importance.
La licence de Koha, la GNU/GPL impose bien la distribution du code source à tous les utilisateurs du logiciel. l’ « astuce » employée par LibLime, c’est que:
1- ils ne proposent « LEK » QUE en mode « SaaS » (Software As A Service) Les clients qui veulent du « Koha déployé sur serveur perso » n’auront que le choix du « Koha communauté ».
2- la licence de Koha date de 1992, date à laquelle le SaaS n’existait pas.
Du coup, c’est « légal » de proposer « LEK » uniquement en mode SaaS sans diffuser le code !!!
Même si ce n’est pas du tout l’esprit de la licence. Une mise à jour a d’ailleurs été spécifiquement faite (la AGPL) pour traiter de ces cas là. Mais personne n’avait pensé à proposer un changement de licence dans le cas de notre projet.
PS : les 3 commentaires postés avant le mien me semblent bien etre du spam: commentaire totalement générique, en anglais, qui pourrait être écrit absolument partout, avec juste un lien vers un site de pub ou de vente.