Dans Why Not Grow Coders from the inside of Libraries?, Bohyun Kim (Library Hat) s’interroge sur le manque de compétences techniques en interne dans les bibliothèques :
« Ca ne serait pas génial si chaque petite bibliothèque disposait d’un développeur en interne ? On utiliserait tous des logiciels open source, avec des fonctionnalités sur-mesure, correspondant exactement à nos projets et aux besoins de nos communautés d’utilisateurs. Les bibliothèques deviendraient alors des consommatrices de technologie réellement avisées, et plus de simples clientes à la merci de systèmes bancals. Et même, cela les re-positionnerait en tant que contributrices des technologies permettant au public d’accéder à l’information et aux ressources scientifiques. Je suis sûre qu’aucun bibliothécaire n’aurait d’objection à cette proposition. Mais en ces temps de restrictions budgétaires continues, conserver du personnel de bibliothèque est un défi en soi, alors engager un développeur…
Mais pourquoi devrions nous en passer par là ? Les bibliothécaires sont sans doute les professionnels les plus compétents techniquement après les informaticiens, les scientifiques, les ingénieurs et les personnels du marketing. Alors pourquoi n’y a-t-il pas plus de bibliothécaires qui codent ? Pourquoi n’assistons nous pas à un déferlement de bibliothécaires-développeurs ? Après tout, nous vivons à une période où le web est la plateforme sur laquelle se déroulent pratiquement toutes les activités humaines, et où les bibliothèques changent leurs noms pour des appellations comme « learning centers ». Développer ne me semble pas trop compliqué ni trop difficile à apprendre pour n’importe quel bibliothécaire, quel que soit son parcours. Les bibliothèques proposent aujourd’hui un large éventail de ressources et de services en ligne, et déploient et utilisent de nombreux outils, du SIGB au système de gestion électronique de documents, qu’elles pourraient certainement utiliser avec un grand profit des personnels capables de développer. »[…]
Pour elle, le problème vient en partie du fait que les compétences informatiques ne sont pas suffisamment valorisées au sein des établissements, qui ont tendance à recruter uniquement en dehors des bibliothèques. Alors que, ce type de compétences s’acquérant souvent en auto-formation, sur le temps personnel des agents, ce sont généralement des personnes motivées, qui pourraient apporter un vrai plus. A cela s’ajoute le fait que, quand elles existent, ces compétences sont utilisées de façon fragmentaire : rares sont les bibliothécaires qui développent à plein temps. En filigrane, il y a aussi la question de la formation : les vagues notions de html survolées dans la plupart des cursus initiaux ne font pas des codeurs aguerris…
Le sujet devient plus brûlant pour les bibliothèques qui utilisent des logiciels libres – il a été abordé lors d’une session la dernière conférence Code4lib consacrée à l’open source en bibliothèque :
« Les participants [à la conférence] habitués à travailler avec des logiciels libres étaient unanimes sur le fait que l’adoption du libre n’est pas bon marché. On croit souvent à tort qu’en adoptant des logiciels libres, les bibliothèques vont faire des économies. Mais, si c’était le cas, cela ne serait pas à court terme. Le libre nécessite d’avoir en interne du personnel technique formé, capable de bien comprendre le fonctionnement des logiciels pour tirer avantage de leur flexibilité au profit de leur établissement. Ce n’est pas du gratuit prêt à l’emploi qui démarre au quart de tour. Adopter les logiciels en open source donne certes aux bibliothèques une certaine liberté pour expérimenter et améliorer leurs services, et de fait les rend plus autonomes, mais les bénéfices ne viennent pas sans investissement. On peut alors se demander pourquoi les bibliothèques n’utiliseraient-elles pas, simplement, les services de sociétés tierces assurant le support de systèmes ou de logiciels libres. Mais sans la capacité à comprendre le code source, et les méthodes pour le modifier selon ses propres besoins, comment les bibliothèques pourraient-elles exploiter le potentiel du libre ? Et parvenir à des relations plus cordiales entre bibliothécaires et vendeurs ? »
[photos : rezponze]
C’est assez absurde de commenter pour dire qu’on est d’accord avec ce qui précède. Mais il se trouve que par une suite de choix de politique de site que je m’expliquerai pas ici mais dont je rends grâce au ciel tous les jours, nous avons un développeur rien que pour nous. Il vient d’ailleurs de nous développer notre nouveau site web (pas tout seul, hein ! Il y a une webmestre pour webmaîtriser, une graphiste pour graphister, une bib. pour les applis métiers etc.).
Qu’est-ce que ça inspire comme réflexions ?
– que c’est bel et bien un métier (cri indigné et un peu creux de la porte ouverte qu’on enfonce). Les « échanges de compétences » peuvent se produire, par frottement en quelque sorte, mais ils se situeraient plutôt dans le champ de la compréhension générale (et réciproque) des enjeux que dans le registre : « Ah tiens, tu développes, ça a l’air sympa, je vais le faire aussi » ou « Ah tiens, tu fais de la FUT, ça a l’air super… pourquoi pas moi ! »
– que cela offre une souplesse et une réactivité technique incomparable avec les deux configurations les plus courantes [1) le biblio-geek qui sait un peu y faire mais qui se retrouve bloqué par son bagage technique trop mince 2) le biblio pas geek du tout qui est pieds et poings liés à son fournisseur et qui doit mettre tout son savoir faire dans la reprise du cahier des charges du voisin en espérant n’avoir rien oublié d’essentiel]
– que ça reste un choix stratégique peu conventionnel, parce que difficile : concrètement, combien de direction sont assez convaincues de l’importance de ces questions pour convertir un poste de type « bib » en un poste de type « informatique » ? Et combien d’entre nous seraient prêts à argumenter dans ce sens ?
– qu’une fois que ce choix est fait et assumé, on ne s’en repend pas. (toute pommade à mon collègue mise à part).
J’ai d’ailleurs observé que la communication des bibliothèques était plus réussie quand elles se dotaient d’un(e) professionnel(le) de la communication. Leur politique culturelle plus aboutie quand elles se dotaient d’un(e) professionnel(le) de l’action culturelle. etc. etc.
Alors quoi, ça marcherait mieux quand chacun fait son métier ?
Post scriptum : il serait bon d’avoir le point de vue de l’intéressé, bien sûr. Je garde l’espoir qu’il le fasse valoir un jour ou l’autre. Mais il est dans la nature des bibliothécaires d’être verbeux. PAS dans celle des informaticiens-développeurs… Cela dit, la contamination permet tous les espoirs.
Bonjour Marlène,
Si ‘bibliothécaire’ et ‘développeur’ sont deux métiers à part entière, je pense que ‘développeur pour bibliothèques’ est lui aussi un métier qui nécessite un temps d’apprentissage.
Même après des années d’expérience en développement, quand on débarque dans le milieu des bibliothèques on ne peut être que perdu par les technologies utilisées :
Des formats de données datant de l’an 40 tels que l’ISO2709, des modèles de données irrationnels tels quel le MARC, des protocoles aberrants tels que le Z3950, et surtout ces demandes fantaisistes provenant de décideurs qui ne connaissent pas grand chose à l’informatique… 80% du temps de développement est gaspillé et ça fait mal au coeur.
Je n’ai jamais compris pourquoi les bibliothécaires se permettaient d’empiéter sur le métier des développeurs en leur dictant quelles technologies ils devaient utiliser pour résoudre un problème, et cela directement dans l’appel d’offre !
Je pense qu’il faut des développeurs dans les bibliothèques, mais surtout pas pour « modifier un logiciel libre en lui ajoutant une fonctionnalité manquante ». Je verrai plus des développeurs de SIGB être détachés à mi-temps dans les bibliothèques clientes pour un vrai échange : donner des formations courtes, et être enfin en contact avec la réalité d’une bibliothèque.
Bonjour
Bien sûr que ce serait l’idéal.
Imaginons un instant un bibliothécaire développeur qui passe tout son temps à développer des programmes utiles à ses collègues.
Maintenant regardons la réalité, le bibliothécaire doit d’abord assurer son service en bibliothèque, ensuite développer ses programmes sur ce qui lui reste comme temps. (Là, vu le temps que ça prend pour tester son logiciel, on se demande quand il a le temps d’avancer)
Un peu irréaliste cette idée d’un développeur dans chaque « petite » bibliothèque.
On voudrait nous faire croire que le développement est un gadget, que tout le monde peut acquérir. Qu’il s’agit d’une question de minutes ?
Sauf que…
C’est juste un métier, comme celui de bibliothécaire.
Et à plein temps ! 🙂
Avec ses spécificités, et ses regards sur le long terme.
Avec ses temps – longs – de développement quand il s’agit de « bien » développer, de « bien » commenter le code pour l’informaticien suivant qui va intervenir sur le code (parfois des mois plus tard)
Quant à savoir si les logiciels sont développés en html, je rigole doucement.
Doucement, car c’est juste inquiétant que les bibliothécaires ne sachent même pas en quel langage est développé leur logiciel.
Pour info : le Html, c’est un langage de mise en page, pas du tout un langage de programmation. (à ne pas confondre avec le javascript)
Et il vaut bien mieux (apprendre à) utiliser un traitement de texte évolué, un blog plutôt que plonger dans ledit code html.
Car qui peut croire que connaître le Marc ou l’Unimarc permettrait de développer des logiciels de bibliothèques.
Alors l’affirmation Développer ne me semble pas trop compliqué ni trop difficile à apprendre pour n’importe quel bibliothécaire, quel que soit son parcours. me semble dépendante de : de quoi parle-t-on ? et en combien de temps pense-t-on devenir capable de développer dans un vrai langage de programmation et de le maîtriser un peu ?
Sans apprendre les bases de l’informatique ?
Sans comprendre la philosophie inhérente à chaque langage ?
A se demander avec quoi, avec quels logiciels, travaille cette bibliothécaire américaine, qui rêve tout haut ?
D’autre part, quand je vois l’incapacité des bibliothécaires à échanger de l’information entre eux, ou même à aider un usager perdu dans un banal problème informatique « hard », je les sens très mal pour « développer »/intervenir dans un logiciel libre conçu par des professionnels.
Quel bibliothécaire a les compétences pour régler le carburateur d’un moteur diesel ou essence ?
Qui en bibliothèque sait comment installer une vache sur une trayeuse ?
Qui est capable de démarrer un tracteur et de passer les bonnes vitesses pour labourer un champ ?
A première vue, ça ne semble pas trop compliqué.
Il faut juste savoir faire…
… de manière professionnelle.
Pas comme un bidouilleur du dimanche.
Une paille ! 🙂
En plus, si les bibliothécaires ne savaient pas.
Mais ils savent chercher… et si je connais un métier où les gens partagent à fond leurs informations, leurs codes, c’est bien celui des informaticiens. (au moins ceux qui ne veulent pas réinventer la roue à chaque programme).
Du code, il y en a plein le web ; de belles pages Html, du code html, il y en a derrière chaque page web.
Il suffit de se servir, de récolter, de recopier, de transformer pour ses propres besoins.
C’est hyper simple.
Sur le principe.
Le problème récurrent, c’est qu’il faut comprendre ce que l’on fait.
Et/ou avoir l’humilité de poser la question aux bons endroits.
Des informaticiens, prêts à vous aider, on en trouve partout, sur des dizaines de forums.
Mais pour ça, il faut arrêter de croire qu’on va trouver tout seul, qu’on saura aussi bien faire qu’un professionnel dont c’est le métier 24/24.
Le dernier obstacle, sur la route du développement logiciel, c’est que, pour obtenir une réponse adéquate, il faut savoir poser une question correctement :
– Définir son environnement de travail
– Définir son langage de programmation
– Définir son problème dans le détail = je veux faire telle chose sur tel type de données pour aboutir à tel résultat.
C’est la base de la programmation.
Exemple :
Je veux
– sous excel,
– avec les macros et fonctions, (Visual Basic ?)
– découper une notice Marc, champ par champ, afin de la corriger ou la compléter avec quelques données personnelles et la recomposer ensuite. (avant de l’intégrer à mon SIGB)
Or, combien de bibliothécaires sont capables de formuler ainsi leur question ?
C’est d’autant plus bizarre qu’il y a un parallélisme évident avec les moteurs de recherche :
Je veux :
dans tel domaine,
avec tel type de fichier,
les documents qui contiennent les expressions suivantes.
(« Expressions suivantes » = que l’on sait être présentes dans les résultats que je cherche.)
Reste que connaître les bases, ça ne fait ni le bon chercheur, ni le bon développeur de programmes.
Un bibliothécaire qui développe à plein temps ne peut pas être aussi efficace qu’un développeur professionnel.
Il est très illusoire de croire qu’un bibliothécaire, parce qu’il est bibliothécaire, sait mieux développer un programme de bibliothèque qu’un analyste-programmeur ou qu’un ingénieur informatique.
C’est souvent le contraire, il vaut mieux quelqu’un ne connaissant rien au domaine, et qui va poser les bonnes questions, qui va se faire expliquer en détail chaque « action », chaque acte du professionnel, chaque mouvement du document… à tous les niveaux de hiérarchie ! Et à toutes les étapes de vie du document.
Parce que le « naïf » n’oubliera rien.
Surtout s’il utilise la méthode Merise. (une méthode qui a un gros défaut : elle montre toutes les aberrations et les erreurs d’organisation, voire de conception des services d’une entreprise ou d’une structure. Elle en a un autre, elle est très lourde à appliquer au début (au niveau de l’enquête), mais le gain est énorme sur le développement.)
L’avantage du bibliothécaire « développeur », c’est qu’il sait de quoi il a besoin.
Du moins, il pense savoir.
Car nombreux sont ceux rêvant d’une Ferrari, lorsqu’une 2 chevaux est suffisante pour accomplir le même travail.
Tout ça pour dire :
A chacun son métier ! 🙂
A chacun sa spécialité.
Du moment que l’on sache dialoguer et se comprendre.
Bien cordialement
B. Majour
« Tout ça pour dire :
A chacun son métier ! 🙂
A chacun sa spécialité.
Du moment que l’on sache dialoguer et se comprendre. »
Tout ça pour ça ?
La prochaine fois, je coupe à 140 caractères.
Euh oui, il fallait que je termine. 🙂
Car je crains d’avoir encore débordé.
140 ?
Twitter est trop court pour moi. 🙂
Bien cordialement
B. Majour
Je suis dans le même cas que toi Synt4XX_3rr0r, et entièrement d’accord.
Je souhaiterai juste ajouter, qu’un développeur au sein d’une bibliothèque, c’est dans le concept joli; mais encore faudrait-il qu’il ne soit pas le larbin d’un décideur baveux de fonctionnalités inutiles, inutilisables, qui permet de ramener la gloire autour de lui.
Le travail d’un informaticien(développeur), au sein d’une bibliothèque, doit permettre d’apporter son savoir faire dans le domaine dont les bibliothécaires sont loin, et ne pas être à la botte d’un décideur.
Il est dommage que les bibliothécaires n’ouvrent pas les yeux… Il y a tant de choses à faire dans le domaine des bibliothèques…
Bonjour Marlène,
je suis bien d’accord avec toi sur le fond, mais il y a quand même un passage qui me fait bondir !
Quand l’auteur du billet que tu cites écrit « Les bibliothécaires sont sans doute les professionnels les plus compétents techniquement après les informaticiens, les scientifiques, les ingénieurs et les personnels du marketing […] Développer ne me semble pas trop compliqué ni trop difficile à apprendre pour n’importe quel bibliothécaire, quel que soit son parcours » je me dit que soit elle hallucine complètement, soit les bibliothécaires américains, sont vraiment TRÈS différents des français …
Sans vouloir être méchant, je suis moi-même développeur et – de par mon métier et l’endroit où je l’exerce – je connais très bien les bibliothécaires (et conservateurs) – débutants ou « anciens » – et je suis particulièrement bien placé pour appréhender leur niveau en informatique. Or, je dois malheureusement dire pour être honnête qu’il est réellement catastrophique : un nombre sidérant d’entre eux ont les pires difficultés pour l’utilisation courante d’outils simples. Et ceci – c’est d’autant plus inquiétant – même chez les plus jeunes qui ont un niveau globalement bien plus faible que la moyenne des jeunes de leur âge.
Quand au développement, c’est quelque chose de très technique demandant bien plus que d’être juste « à l’aise avec l’outil informatique » c’est un métier à part entière.
Tu as raison d’écrire « les vagues notions de html survolées dans la plupart des cursus initiaux ne font pas des codeurs aguerris ». En effet, pour faire un codeur aguerri il faut plusieurs années de formation initiale spécialisée (Bac+2 minimum, mais plus souvent Bac+3,4,5) ainsi que plusieurs années d’expérience à ne faire que ça !
Or, je peux te dire (c’est du vécu) qu’en formation, les « vagues notions de html » dont tu parles sont déjà complètement hors de portée d’au moins 80% des futurs bibliothécaires ou conservateurs …
Conclusion : il est tout à fait illusoire d’espérer transformer les bibliothécaires en développeurs.
Mais cela ne change rien sur le fond de ton propos : les bibs auraient en effet, tout intérêt à avoir en interne les compétences techniques nécessaire pour maintenir et faire évoluer leurs outils. Mais c’est vrai aussi pour à peu près toute autre entreprise ou administration utilisant des outils informatiques. Or, cette tendance – préférer payer un prix exorbitant pour des outils mal faits à une entreprise dont on est captif plutôt que de payer sa liberté en acquérant les compétences pour le faire soi-même – se retrouve dans un très grand nombre d’entreprises et d’administrations ?
Pourquoi une telle absurdité ? Parce que bénéfice en savoir-faire et en liberté est à peu près impossible à chiffrer en euros, donc impossible à justifier pour un cadre dans les rapports à sa hiérarchie … alors que les économies sur la masse salariale, ça c’est très facile à chiffrer, et pratique pour se faire mousser auprès de gens qui ne connaissent absolument rien aux problématiques de maîtrise du système d’information.