Dans une lettre ouverte adressée il y a quelques jours à leurs enseignants et à leurs chercheurs, la California Digital Library (qui gère – entre autres – les négociations avec les éditeurs pour les ressources électroniques), les bibliothèques universitaires et la Commission Universitaire pour la Communication Scientifique de l’Université de Californie (UC) les informent d’un possible boycott des revues de l’éditeur Nature Publishing Group (NPG). Pourquoi ? Oh, simplement parce que « NPG veut augmenter le tarif de [notre] licence pour la revue Nature et ses revues affilées de 400% en 2011, ce qui porterait le coût de leurs 67 revues à plus d’1 million de dollars par an ».
Ils encouragent en plus lesdits enseignants et chercheurs :
– à refuser de valider des articles pour les revues de NPG
– à cesser de soumettre des articles aux revues éditées par NPG
– à arrêter de promouvoir leurs postes vacants dans les revues du groupe
– à diffuser largement leur avis sur les pratiques commerciales de NPG auprès de leurs collègues, y compris (et surtout) en dehors de leur propre université.
Pour les signataires, c’est également une occasion de sensibiliser les enseignants et les chercheurs au fait que le modèle économique traditionnel de l’édition scientifique est corrompu, et qu’il ne tient qu’à eux de le changer : ils les incitent, par exemple, à publier dans des revues en open access, à déposer dans l’archive institutionnelle de l’université, ou à veiller à ce que les licences passées avec les éditeurs leur permette de garder leur droit d’auteur.
Nature a répondu à ce courrier, en précisant qu’en fait l’UC bénéficiait jusque là d’un tarif avantageux qui lui était spécifique : rendez-vous compte, une remise de 50% par rapport au tarif public ! Sauf que, n’importe quel responsable de la documentation électronique vous le dira : PERSONNE ne paye le tarif public, et tout est affaire de négociations. Pour l’éditeur cette augmentation n’est donc qu’une remise à plat par rapport aux autres clients, mais, dans les réactions apparues dans la blogosphère à la suite de ces annonces, aucun bibliothécaire ne s’est félicité de ce rattrapage qui mettrait tous les clients de Nature au même niveau. Non, bizarrement, les bibliothécaires soutiennent plutôt la position de l’UC, et attendent de voir si la menace de boycott va avoir un effet sur la suite des négociations… Plusieurs observateurs remarquent que cette initiative est une occasion d’étendre le débat à la remise en question des modèles de diffusion et d’évaluation de la recherche scientifique (ici ou là), certains pensant qu’il faudrait aller plus loin, en instaurant un moratoire sur l’utilisation de l’impact factor par les commissions de recrutement dans les universités (Adventures in ethics and science) par exemple. D’autres soulignant l’aberration d’un système dans lequel une université qui contribue de manière non négligeable à la production des contenus des revues (plus de 5300 articles publiés dans les revues du groupe au cours des 6 dernières années émanent de chercheurs de l’UC, dont près de 700 pour la seule revue Nature) n’a finalement pas les moyens d’accéder à ces contenus…
L’université a répondu à cette réponse, en s’appuyant sur le fait que les autres négociations qu’elle mène avec d’autres éditeurs, plus compréhensifs sur les réductions budgétaires dont souffrent les bibliothèques dans cette période de crise économique (voir la déclaration de l’ICOLC sur les impacts de la crise sur les licences consortiales), lui ont permis de limiter les désabonnements : accepter le deal proposé par NPG annulerait les économies réalisées, et décrédibiliserait le travail accompli avec les autres éditeurs.
Par ailleurs, l’université revient dans cette réponse sur un élément fondamental dans tout acte d’achat, à savoir la valeur du produit :
« Comment on détermine la valeur est une question complexe. Les bibliothèques de l’UC ont vraiment passé beaucoup de temps à étudier la question. Nous sommes certes d’accord sur le fait que NPG publie des articles de très grande qualité, mais c’est le cas de beaucoup d’autres éditeurs, et ce à des coûts plus raisonnables. La fiche synthétique jointe à notre courrier aux enseignants-chercheurs montre que le coût moyen actuel des revues NPG est bien dans la norme de ce qui est dépensé pour d’autres ressources par l’UC, alors que la nouvelle proposition tarifaire les placerait dans une position anormalement élevée. Alors que nous ne mettons pas en question le fait que le coût d’usage des revues NPG à l’UC est bas, les caractéristiques de ces revues doivent aussi être prises en compte, histoire de comparer ce qui est comparable. Comme de nombreux observateurs ont pu le constater (y compris sur la plateforme de Nature, comme Andrew Odlyzko), le coût marginal pour un éditeur de l’augmentation des usages en ligne est très bas, comparé au coût du premier exemplaire. Il existe de nombreux facteurs externes qui entraînent les usages dans l’environnement numérique actuel, dont peu ont un lien avec la structure des coûts internes de l’éditeur. Nous sommes impatients de travailler avec NPG pour arriver à une évaluation juste de la valeur dans la suite de nos discussions. »
Enfin, l’UC interpelle NPG à propos des heures passées gratuitement par ses personnels à évaluer la qualité scientifique des contenus proposés dans les revues (peer-review) ou a participer à des comités éditoriaux : dans quelle mesure pourraient-elles être prises en compte dans le calcul tarifaire, en compensation ?
Pour Dorothea Salo, la suite promet d’être éclairante sur bien des points : l’UC est-elle prête à aller au clash même si elle arrive à négocier un taux d’augmentation plus bas ? D’autres universités pourront-elles / vont-elles suivre ? L’importance des revues en terme d’outils d’évaluation ne va-t-elle pas en prendre un coup ? Est-ce que tout ça va vraiment bénéficier à l’Open Access et aux archives ouvertes ?
A suivre, donc…
[photos : kilgub, essgee]
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