« Il y a plusieurs choses que je trouve très choquantes dans ce projet sur le plan des principes :
– La formule revient à considérer a priori tout utilisateur en bibliothèque comme un coupable en puissance et comme un “prédateur” de biens culturels. Mais c’est l’esprit de la loi Hadopi toute entière … Cela revient en outre à nier le rôle pédagogique que les bibliothèques peuvent jouer dans l’accompagnement des utilisateurs sur la Toile et à remettre en cause notre capacité tout simplement à faire appliquer nos règlements intérieurs. Qu’adviendra-t-il par exemple des collections de signets que les bibliothèques mettent en place ? Faudra-t-il les soumettre à l’avis préalable de la commission chargée de dresser la liste blanche ?
– Quand on pense à l’immensité et à l’évolutivité d’internet aujourd’hui, on a du mal à imaginer comment cette sélection des sites pourrait s’effectuer. On aboutira forcément à un échantillon très réduit qui ne sera qu’un pâle reflet de la diversité de la Toile. On pourrait à la rigueur imaginer d’exclure les sites qui, de notoriété publique, favorisent le piratage, mais même sous cette forme, la formule me paraît choquante.
– Le projet me semble intenable en bibliothèque de lecture publique, mais il ne l’est pas moins en BU pour les usages liés à la recherche. Comment les chercheurs pourront travailler avec un internet bridé ?
Le projet parle d’une consultation préalable des acteurs concernés. Mais rien ne garantit que nous seront indentifiés comme des “acteurs concernés”. Et même si c’était le cas, je ne voudrais pas être à la place des représentants des bibliothèques qui auront à donner leur bénédiction à ce portail blanc.
L’inquiétant, c’est que le projet paraît déjà assez avancé, car la Ministre s’appuie sur les travaux du CGTI (quid ? Conseil Général des Technologies de l’Information) qui a produit un rapport sur la question du filtrage.
C’est ni plus, ni moins une forme de censure qui est proposée ici. La protection des droits d’auteur (ou des intérêts économiques qui sont derrière) vaut-elle vraiment d’accepter une telle atteinte au droit d’accès à l’information ?
Plus profondément, il me semble que “déontologiquement” nous ne pouvons pas accepter cette conception du métier de bibliothécaire, comme un “verrouilleur” d’accès à l’information. C’est l’image profonde de la bibliothèque qui peut être atteinte par un tel projet. »
Lionel Maurel, sur son tout nouveau blog, résume très bien mes inquiétudes face à cette loi.